Des mauvais tireurs
Si tu veux tirer, touche la cible !
Si à viser es malhabile
Tu mettras en plein dans la nef.
Les archers ne le prennent mal
Je fais venir tirer des fous
En champ clos dressé sur la grève
Qui n’y vient pas, tant pis pour lui.
On joutera pour de beaux prix
A qui touchera mieux la cible
Ou qui accède au dernier tour.
Qu’il vise bien, ni trop à terre
Ni trop haut, mais juste au milieu,
Qui veut toucher la cible au cœur
Et décoche point trop en hâte !
Beaucoup tirent bien au delà,
Tel brise l’arc, la corde, la noix,
A tel glisse la corde qu’il bande,
A tel ploie le bâti, l’affût ;
A d’aucuns le coup part tout seul
Car leur encoche était graisseuse ;
Pour tel autre la cible à bougé
Qui a perdu son point de mire,
De tel encor les nombreux traits
Sont partis tous dans le décor,
A lui reviendra le cochon
Avant le concours des meilleurs.
Mais tous les tireurs de la terre
Vous disent pour sauver l’honneur
La cause de leur défaillance :
Une excuse, une bonne raison ;
S’ils n’avaient pas mis à côté,
Sûre, ils eussent gagné le prix !
Je connais aussi des tireurs
Qui ayant ouï parler d’un tir
Où l’on vient de partout, de loin
Pour concourir à un jour dit,
Où vient l’élite des pays,
Et nul n’y a de récompense
S’il a mis tous ses traits au centre :
J’ai vu souvent ces fiers vantards
Sachant fort bien qu’ils n’auront rien
S’y rendre par forfanterie.
Pour aller jouer leur salut :
J’aimerais gagner ce qu’ils perdent
Sans compter le droit d’inscription :
Sûr, le cochon leur tend les pattes !
Certains qui visent la sagesse,
Y plantent rarement un trait
Car regardant juste à côté :
L’un tient trop haut, l’autre trop bas,
Se laisse distraire au but,
Rompent tout net leur affût,
Tel Jonathan, tirent au delà
Ou bien se brise la détente.
Qui veut toucher sagesse en plein
Il devrait posséder ses flèches
Qu’Hercule avait dans son carquois
Qui atteignaient ce qu’il voulait
Et ce qu’il touchait tombait mort.
Qui fait sa cible de sagesse,
Sache le but et la mesure :
S’il manque ou si son trait retombe,
Le tireur dans les fous se compte.
Qui vise et tire hors palissades
Ramène le cochon chez lui
A la chasse et concours de tir
On perd son temps et son argent
Extrait No 75 de la Nef des Fous
de Sébastian BRANT en 1494